V. Ferrer, « D’Aubigné et la satire du gascon à la cour de France »
Les Avantures du Baron de Faeneste d’Agrippa d’Aubigné s’inscrivent dans la tradition des joyeux devis et des contes pour rire, brillamment illustrés au siècle précédent par Noël Du Fail. Publiés en 1617, les deux premiers livres du roman se voient complétés par une troisième partie en 1619, puis par une quatrième en 1630. Les trois premières parties du roman reposent, pour l’essentiel, sur le dialogue entre deux personnages, Faeneste, « un baron de Gascogne, Baron en l’air, qui a pour Seigneurie Faeneste, signifiant en grec paroistre ; cetui-là jeune eventé, demi courtisan, demi soldat », et le gentilhomme Enay, « qui en mesme langue signifie estre, homme consommé aux lettres, aux experiences de la Cour et de la guerre ». En choisissant pour héros la figure grotesque du Gascon, d’Aubigné poursuit une longue tradition satirique qui fait de lui, tantôt un personnage vantard, tantôt un soldat de fortune. Il s’agira de montrer comment la figure et la parlure du Gascon sont ici récupérées pour mener à bien la peinture « récréative du siècle » annoncée dans la préface du roman , peinture qui tient cependant moins de la farce enjouée que de la représentation affligeante « d’un temps calamiteux ». Si la mise en scène de la langue et de la figure du Gascon permet à d’Aubigné d’expérimenter un langage littéraire insolite sur la base d’une reconstruction inventive d’un dialecte fragilisé par l’histoire, elle sert aussi un projet militant que l’auteur reconduit d’œuvre en œuvre. Le dérèglement linguistique du baron, mêlant langage de cour et prononciation gasconne, parfois au rebours des codes en vigueur, sert à dénoncer la dépravation des mœurs et la faillite des valeurs des Grands sous la régence de Marie de Médicis. Mais la satire de la langue gasconne et du Gascon dans le Faeneste cache aussi une autre cible. D’Aubigné fait de son personnage le représentant burlesque du protestant des années 1610, prêt à renier ses origines et ses croyances pour accéder aux honneurs de la cour de France, en singeant ses représentants. A travers la fiction burlesque d’une langue à contre-emploi, fondée sur la réalité historique des Gascons à la cour de France, le poète des Tragiques déplore, avec des armes littéraires inédites, la léthargie des nouveaux réformés, la trahison des apostats, la politique de corruption des dirigeants contemporains, bref la ruine du rêve protestant.