Déjà tout au long du Moyen Âge, les armées d’Europe s’empruntent communément leur terminologie technique, notamment parce que ceux qui exercent le métier de la guerre circulent facilement d’un pays à l’autre, que l’on pense aux arbalétriers génois à Azincourt, aux archers écossais à la cour de Louis XI ou encore aux aventuriers anglais tels John Hawkwood en Toscane, mais aussi parce que bien des théoriciens européens gardent le souvenir commun des textes militaires antiques, de Végèce à Frontin en passant par Vitruve. Les traductions des Anciens en langue vulgaire, par exemple celle de Végèce, en 1284 par Jean de Meun en langue française, ou en 1292, par Bono Giamboni en Italien ne font qu’accélérer le processus. Au début du XVIe siècle, cependant, les Princes décident de réorganiser leurs armées afin d’optimiser des techniques militaires qui emploient parfois sur le terrain des dizaines de milliers d’hommes selon des tactiques combinant le choc des piquiers ou de la cavalerie et le feu des arquebuses et de l’artillerie de campagne. De ce point de vue, le célébrissime Art de la guerre de Machiavel, où sont explicitées les méthodes de mise en ordre de bataille et de manœuvre des unités militaires qui s’inspire de Végèce, Frontin et Polybe, n’est pas uniquement la matrice de plusieurs traités militaires ultérieurs, mais bien aussi un texte tentant de mettre en ordre la transformation des pratiques dont il est le témoin. À ce titre, il relève d’un mouvement bien plus large qui est parti au XVe siècle et qui touche toute l’Europe. En France, Christine de Pisan dans son Livre des faits d’armes et de chevalerie (1410), Robert de Balsac dans La Nef des Princes et des batailles de noblesse et le Traité sur la guerre (1492-1502), et Béraud Stuart, lord d’Aubigny, capitaine des lances écossaises du Roi de France, dans son Traité pour un chef de guerre rédigé vers 1500 reprennent certes Végèce, mais sont non moins attentifs à l’actualité de la guerre, notamment à l’introduction de l’artillerie ou aux manœuvres des piquiers suisses (qui à partir de Louis XI entraînent les bandes françaises au camp de Pont de l’Arche). En Angleterre, dès 1408, on traduit Végèce à la cour de Henry VII, on commence à lire le traité de Béraud Stuart et celui de Robert de Balsac, les Fayttes of Armes de Christine de Pisan sont même imprimées par Caxton en 1489. Le texte sur la discipline militaire composé par le capitaine Thomas Audley, intitulé Booke of Orders for the Warre both by Sea and Land, intègre quant à lui, pour le bénéfice du Prince Edward, toute l’expérience des campagnes de France d’Henry VIII. Dans le même temps, en France, Fourquevaux, dans Les Instructions sur le fait de la guerre, indique comment armer les toutes nouvelles légions du noble Roi François, en plagiant tout à la fois l’Art de la Guerre de Machiavel et Végèce. Les Anglais ne sont pas en reste puisque Robert Barret, en 1562, cherchant à réformer les Trained Bands d’Elisabeth, s’inspire lui aussi de Végèce par le biais de Thomas Audley tandis que Peter Whitehorne offre en 1560 à la reine Elisabeth une version en anglais de Machiavel. À cette époque, les circulations ont également lieu entre l’Angleterre et l’Espagne comme le prouvent les éditions des traités de De la Vega et de Mendoza par Nicholas Lichfield et Sir Thomas Hoby. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que la présence de lansquenets allemands dans les armées de Louis XII et François Ier ou encore de Henry VIII, ou que la présence d’alliés italiens dans les armées ibériques ou françaises, ont créé un véritable melting pot linguistique. L’objet de notre communication est d’examiner les emprunts de vocabulaire dans le cadre de la structuration des armées du premier XVIe siècle : noms d’unités (chambrées, chamber, camera, Rotte), titres d’officiers (colunelas, colonels, couronels…), mouvements tactiques (escargot, snail, caracola etc .).