PETITE FABRIQUE DE PROSE NARRATIVE FRANçAISE : LA LIBRAIRIE D'ANTOINE VéRARD, PARIS, 1485-1512
modifié le: 2011-06-07
 

Dans l’«atelier» parisien d’Antoine Vérard (1485-1512) se rencontrent, à l’aube de l’ère imprimée, des auteurs, traducteurs et imprimeurs qui mettent leur art au service d’une promotion du livre en langue vernaculaire, en s’adressant à un lectorat nouveau, cultivé mais non érudit, lettré mais laïc. A partir du cas de trois traductions de recueils narratifs en prose – Le Livre de Cameron (1485) (réécriture anonyme de la traduction du Décaméron de Laurent de Premierfait), Les facéties de Pogge (~ 1491) (traduction par Guillaume Tardif du Liber confabulatiorum de Pogge) et les Apologues et fables de Laurent Valle (~1493) (traduction par Tardif des Facetiae morales de Valla) – nous proposons de réfléchir au fonctionnement de l’atelier Vérard comme lieu d’élaboration d’une prose narrative française à succès, dont nous préciserons les caractéristiques linguistiques et stylistiques. Nous analyserons les procédés d’écriture intervenant dans l’élaboration de cette prose (traduction, rajeunissement linguistique, abréviation, amplification), et la replacerons dans le contexte d’une entreprise éditoriale collective, mettant en jeu un libraire, un ou plusieurs traducteurs-adaptateurs et un commanditaire.
Notre communication soulèvera des questions propres à la première période d’étude du projet Eurolab: les années 1480-1490, une période où la notion d’auteur ne faisait qu’émerger, et où la collaboration entre imprimeurs, auteurs et traducteurs était à la fois active et peu réglementée. Les manipulations linguistiques auxquelles se livrent les adaptateurs et traducteurs des éditions Vérard s’inscrivent dans une stratégie de séduction commerciale: forger une prose narrative nouvelle, destinée à un lectorat nouveau.
La trilogie facétieuse que forment les traductions du Décaméron, des Confabulationes et des Facetiae, nous semble ainsi illustrer, aux débuts de l’ère imprimée, les balbutiements d’une «expérimentation» de la langue, au sein d’un atelier destiné à jouer un rôle majeur dans la promotion du livre français.

 
Antoine Vérard’s little prose factory (Paris, 1485-1512)

In the early years of the printed era, Antoine Vérard’s workshop in Paris (1485-1512) was a place for authors, translators and publishers to come together and further the promotion of publications in vernacular language. The audience these publications were aimed at consisted of educated laymen, well-read, but not erudite.
This talk is based on the translations of three collections of narrative prose – Le Livre de Cameron (1485) (the anonymous re-writing of the translation of the Decameron by Laurent de Premierfait), Les facéties de Pogge (~1491) (translation of Poggio Bracciolini’s Liber confabulatiorum by Guillaume Tardif) and the Apologues et fables de Laurent Valle (~1493) (translation of Lorenzo Valla’s Facetiae morales by Tardif). We are arguing that Vérard’s workshop was a place of emergence of French narrative prose and we intend to elaborate on the stylistic and linguistic features thereof. We are going to analyse the writing processes involved in the development of this prose (translation, linguistic regeneration, abbreviation, amplification) and to look at these processes in the context of a collective editorial enterprise involving a bookseller, one or more translators and writers, and one patron.
Our talk is going to pick up on questions concerning the first stage of the Eurolab project : the period between 1480 and 1500, as the notion of author had barely emerged and as the collaboration between editors, authors and translators was active, but badly regulated.
The linguistic manipulations Vérard’s translators engaged with pursued commercial goals: the structuring of a new narrative prose, directed at a new audience.
In conclusion, the facetious trilogy of the translations of the Decameron, the Confabulationes and the Facetiae, seems to reflect the first steps of an experimentation with language within an work-shop aimed at playing an important role in the promotion of the vernacular book in France.

Nora Viet, Université de Clermont-Ferrand